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La dépendance est un outil original pour agir sur les significations que nous donnons à l’art et l’architecture. La dépendance appelle l’échange, la symbiose, la vie en collectivité en miroir de la soumission, de l’asservissement, de l’aliénation. Ce numéro tend à déraciner ces définitions dans un corpus hybride proposé par des voix associées de près ou de loin à l’expérience de la dépendance. Il cherche moins à critiquer les productions artistiques contemporaines (matérielles ou non) que les milieux hétérocentrés et mercantiles desquels elles dépendent. Pensons à une chose : c’est loin de sa prétendue opposition à la liberté que la dépendance trouve ses logiques. Nous avons construit ce numéro sur l’affirmation, parfois nuancée, de cette conviction. Il en ressort une chose : l’autonomie, ce n’est pas se libérer de toutes les dépendances, mais plutôt s’organiser collectivement dans un système d’interdépendances.





SOMMAIRE

♣ DÉPENDANCE NORD-SUD — Entretien avec Juan Pablo Gutierrez

La revue a sollicité Juan pour la seconde fois cette année lors d’un entretien sur les dépendances territoriales des Nords aux Suds. La voix de Juan est une voix que nous nous engageons à porter pour diffuser son combat et son regard qui nous concernent toutes et tous.


♦ ACCRO AUX OBJETS OU CAPTURÉ PAR LE MARCHÉ ? — Jeanne Guien
illustré par Hugo Ruyant

Jeanne Guien propose un petit essai entre philo et stratégie politique qui définit la dépendance aux produits de consommation pour réfléchir aux voies de l'indépendance et de l'anti-consumérisme. Jeanne est docteure en philosophie et chercheuse indépendante. Elle a récemment publié Le consumérisme à travers ses objets et Une histoire des produits menstruels (éd. Divergences) et partage son temps entre recherche, activisme et travail social.
Hugo Ruyant est artiste-peintre. Sa série « Survie et délices » décline les représentations de monstres grotesques. Sortes de Bacchus contemporains, les Lécheurs parlent de jouissance, de plaisir addictif autant qu’éphémère ; ils apparaissent dans un sentiment contradictoire de survie et d’abondance.


♠ MAIS QUI DÉPEND DE QUI ? IN(TER)DÉPENDANCES ET DETTE PATRIARCALE — Camille Bruneau & Sacha Gralinger
illustré par Thomas Perrodin

Camille Bruneau et Sacha Gralinger prolongent les réflexions du livre Nos vies valent plus que leurs crédits, que Camille a coécrit avec Christine Vanden Daelen, grâce à la thèse de Sacha sur l'utilité politique des dettes non monétaires. Ensemble, iels proposent une définition de la dette patriarcale et les réparations non monétaires qu’elle appelle. Camille et Sacha se sont rencontrés au Comité pour l’Abolition des Dettes illégitimes qu’iels continuent de fréquenter.
— Artiste, illustrateur et graphiste Thomas Perrodin est ultra dynamique sur la scène culturelle alternative genevoise, notamment dans le domaine de la musique, pour lequel il réalise beaucoup d’affiches, programmes, flyers et pochettes. En tant que membre des éditions Hécatombe, sa pratique personnelle se concentre sur la réalisation d’éditions collaboratives ou personnelles.


♦ DÉTOURNEMENTE, CHANGER LA DIRECTION INITIALE D'UNE VOIX — Roxanne Maillet

Une proposition de Roxanne Maillet qui détourne des logos de grandes marques avec des noms d’icônes queer comme Harvey Milk, Natalie Barney, Monique Wittig ou Judith Bulter. Roxane est graphiste, éditrice, artiste. Elle travaille autour de l’écriture inclusive et des glyphes non-genrés.


♣ TRAVAILLEUR.EUSES DE L'ART — Entretien avec La Buse

La Buse est un réseau indépendant qui interroge le milieu de l'art en tant que milieu de travail. Le collectif propose des outils de transformation sociale du champ de l’art et vise à articuler expériences et pratiques militantes. Iels organisent des réflexions et actions autour de la question du travail et des termes qui lui sont associés – statut des travailleur·euses, rémunération, salaire, cotisation, droits sociaux –, œuvrant à l’amélioration de ses conditions par la voie de propositions concrètes auprès des pouvoirs publics et des institutions du champ de l’art.


♦ GÉOMÉTRIE VARIABLE — Manon Deck-Sablon

À travers ses photographies, Manon Deck-Sablon explore la sensibilité acquise dans sa formation pour mettre en scène des rencontres entre des corps et leur environnement. Des corps nus, anonymes, sans visage, désexualisés, non genrés, avec la chair comme matière, déployés dans l’espace, créant des situations absurdes et poétiques.


♠ DANSER SOUS LA LUNE AVEC FRANCIS KÉRÉ — Hugo Chevassus

Hugo Chevassus parle de Françis Kéré, dernier lauréat du Prix Pritzker dont les bureaux sont à Berlin. Du Burkina Faso jusqu’à Venise où la Biennale de 2023 présente l’Afrique comme le laboratoire du futur, l’article questionne l’importance et l’origine des grands prix d’architecture (mais pas que).




♦ MARTINE DE BANDOL — Apolline Lamoril

C’est suite à l’affaire Martine de Bandol en 1969 que le gouvernement prépare une loi anti-drogue qui sera votée en 1970. En août 1969, Martine, apprentie coiffeuse de 17 ans, est retrouvée morte d’une overdose d’héroïne dans les toilettes du casino de Bandol. L’artiste Apolline Lamoril documente ce fait divers dans une enquête-collecte à travers des photos, des coupures de presse d’époque et des archives.


♠ TRAJECTOIRES URBAINES ET ADDICTIVES — Chiara Perlongo

Chiara Perlongo observe les trajectoires urbaines de la consommation de crack dans le Nord-Est parisien, à travers une cartographie des campements et leur déplacement forcés entre 2019 et 2022. Chiara est diplômée en psychologie clinique de la relation d’aide (Italie) puis en Prise en charge des risques à l’Université Paris-8. Elle est chargée du pôle formation EGO - Association Aurore qui intervient dans les structures d’accueil, d’hébergement et d’insertion pour sensibiliser et accompagner à la Réduction des risques.


♠ BAISE SALIVE BAISE ALCOOL BAISE — Gorge Bataille

Dans le Banquet de Platon, les huit convives principaux, tous masculins, répondent tour à tour à « qu’est-ce que l’amour ? » Gorge Bataille, poète queer et performeuse, propose une réécriture lesbienne du Banquet avec huit convives non masculines. Gorge expérimente une écriture pirate et sexuelle. Ses sujets de prédilection sont la lutte des classes, les relations amoureuses et le trouble identitaire. En 2021, elle publie l’Anthologie Douteuses (éd. Rotolux Press) avec Marguerin Le Louvier qui retrace dix années de fanzines punk & poétique. Gorge fait partie du super collectif d’autrix RER Q.


♦ LES HAUTES HERBES — Thibault Cocaign

À vocation documentaire, le travail de Thibault Cocaign privilégie les rencontres au long cours et la poésie qui en émane. À 7000 km de là, Thibault voit des façons de vivre ensemble, dans une société métissée et multiculturelle. La série proposée explore les modèles d’autosuffisance, de la débrouille et de la bricole élevés à une forme d’art, de la puissance du métissage et d’une poésie des êtres humains et non humains.


♦ ÉCHO — Quentin Vintousky

La bande-dessinée Écho a été grandement nourrie par un article intitulé « Donner à toucher, donner à sentir : étude du capitalisme affectif sur mobile » d’Inès Garmon (Communiquer, n°28, 2020) qui étudie le capitalisme affectif dans sa matérialité et son rapport au corps par l’intermédiaire de ces gestes de manipulation des interfaces tactiles. Quentin Vintousky est artiste et dessinateur de bandes dessinées.


♦ LE DÉGRADÉ ROUGE DU SENTIMENT INTESTINAL — Grégoire Sourice

Longtemps, Grégoire Sourice a posté des annonces-poèmes sur Leboncoin (un récit de rêve, un seuil de porte, une tapette à bouche, etc) sous différents pseudonymes, tous issus de Don Quichotte. Depuis 2022, Grégoire fait partie d'un collectif qui anime une imprimerie associative à Marseille. Il est l'auteur de deux livres, La Gelée du vivant (2022, éd. Zoème) et Le cours de l'eau (2024, éd. Corti).

fig. #8

titre dépendance

2023

190 x 255 mm

144 pages

ISSN
2493-3597

20 €

édito

Définie comme une relation de subordination, de solidarité ou de causalité, la dépendance est un outil original pour agir sur les significations que nous donnons au monde. La dépendance appelle l’échange, la symbiose, la vie en collectivité en miroir de la soumission, de l’asservissement, de l’aliénation. Ce numéro tend à déraciner ces définitions dans un corpus hybride proposé par des voix associées de près ou de loin à l’expérience de la dépendance. Il cherche moins à critiquer les productions artistiques contemporaines (matérielles ou non) que les milieux hétérocentrés et mercantiles desquels elles dépendent. Dans ce numéro, nous allons parler des Suds et des Nords, d'addiction, de dette, de détournement, d’interdépendance, d’abus, d’une danse sous la lune, d’avatar, de trajectoire, de baise et de hautes herbes.



La dépendance conditionne plusieurs étages de notre existence, des plus élémentaires aux plus superficiels. Respirer par exemple, est « une très belle dépendance quand on se dit que que l’oxygène dont on se nourrit nous vient de l’expiration des plantes, que leurs déchets à elles c’est notre trésor à nous ». Mais le monde humain est confronté à des luttes plus complexes, dans les interdépendances qui relient Nature, territoires, individus, communautés et systèmes de pouvoir. Tous les moyens sociaux et majoritairement binaires que nous avons historiquement mis en place ont codifié notre existence et notre vision suprématiste d’appartenance à cette Terre. Nous avons créé une échelle, le chiffre, la lettre, pour la ramener à une taille humaine et la rendre plus compréhensible, mais qui n’existe pas dans la réalité. Il serait peut-être temps de reconnaître que d’autres langages existent et qu’ils ne nous appartiennent pas.



Parler de dépendance revient vite à parler d’indépendance. À cela rien d’étonnant ici puisque, depuis sa création, la revue s’accroche à la besogne des mots et leur contraire. L’utilisation parfois cosmétique des termes « indépendant » et « alternatif » érigés aujourd’hui comme des labels de qualité (majoritairement dans l’industrie culturelle) conduit à s’interroger sur leurs enjeux sémantiques et sociopolitiques. En tant qu’indépendant·es, les artistes, les architectes et les travailleur·euses de l’art évoluent dans un milieu professionnel concurrentiel auquel iels sont assujetti·es. Car cette autonomie illusoire implique elle-même une dépendance au cadre (idéologique, juridique ou financier) dans lequel elle s’installe. Certain·es des artistes les plus célèbres de l’histoire – qu’iels soient musicien·nes, écrivain·es, peintres ou comédien·nes – sont connu·es pour avoir produit sous emprise leurs œuvres les plus magistrales. Sans en faire l’apologie, ce numéro tend aussi à questionner l’influence du corps étranger, qu’il soit chimique, psychique, physique ou institutionnel, sur la création artistique dans une société donnée.



Alors ne sommes nous pas tous·tes dépendants – de quelque chose, de quelqu’un·e, de quoique ce soit ? Car c’est loin de sa prétendue opposition à la liberté que la dépendance trouve ses logiques. Nous avons construit ce numéro sur l’affirmation, parfois nuancée, de cette conviction. Il en ressort une chose : l’autonomie, ce n’est pas se libérer de toutes les dépendances, mais plutôt s’organiser collectivement dans un système d’interdépendance. Finalement, ce numéro détourne les vocabulaires d’une société égoïste et majoritairement masculine vers une version plus équitable et réciproque, où la dépendance ne serait plus une entrave à l’indépendance, mais plutôt un aspect de la vie humaine que nous pourrions collectivement reconnaître et aborder de manière constructive.

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