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Ce premier numéro est né du désir commun de deux étudiant.e.s d’éditer une nouvelle revue d’architecture plus hybride, plus libre et plus jeune que la plupart des revues publiées en 2015. Il a servi de conclusion au mémoire de 5ème année des études d’architecture de Hugo Chevassus qui traitait de la critique architecturale contemporaine. Il a également initié la série des 3 premiers numéros de fig. qui constituait une partie du DNSEP de Fanny Myon soutenu à l’ESADSE. Construit grâce à la participation d’étudiant.e.s volontaires, ce numéro se déplace de la Faculdade de Arquitectura d’Alvaro Siza à Porto au projet de Vincent Mangeat du futur pont habité de Zaehringen à Fribourg, en passant par la Briqueterie de Philippe Prost à Paris.

© photos
Chantal Casanova

fig. #0

titre analepse

2015

190 x 255 mm

48 pages

ISSN
2493-3597

épuisé

édito

Il s’arrêta net. Il sentit jaillir une émotion qu’il n’avait jamais connue auparavant. Il avait jusqu’à présent avancé, d’un pas lourd et assuré, vers les abîmes de l’inconnu que lui offraient ses lendemains. Mais il sentit l’immense besoin de se retourner. De contempler ce qui motivait sa démarche jusqu’à présent. C’était un homme d’une sensibilité sincère, émerveillé par la beauté des livres, et en eux, la vie entière. Pour lui les livres étaient un moyen d’éterniser l’éphémère, ainsi les murs de son appartement s’en étaient vus recouverts. Aujourd’hui il avait eu envie d’écouter l’inconscient qui l’avait bercé la nuit durant, bercé par tous les livres qu’il avait dévorés. Il se souvint alors d’une image brumeuse d’audace qu’il avait eu lors d’un rêve. Comme la silhouette d’une construction solitaire dont on ne distingue que partiellement les contours par l’épais brouillard qui l’envoûte, sa pensée lui revint peu à peu, fruit d’un travail de remémoration long et fastidieux. L’histoire commença à se raconter dans son esprit, à qui il lui plaisait de laisser une liberté d’expression qu’il ne contrôlait pas. Il laissait parler son corps, alimenté par son énergie intellectuelle, pour autoriser le récit à prendre forme. Il adorait les histoires et mit tout en œuvre pour réussir à raconter la sienne. Il se souvint du voyage fané que les fleurs de son esprit avaient cultivé. Il se souvint d’un tapis magique, si léger que le souffle d’un colibri suffisait à faire danser sa fine soie. Ce tapis, plutôt petit, était connu pour balader l’esprit à travers les beautés du monde et reposer le corps fatigué par l’habitude. Le mouvement chaloupé de la toile niait la dématérialisation des savoirs, amenant le voyageur égaré sur les lieux de l’humilité. Cela enchantait l’homme car il voulait retrouver la filiation du siècle des Lumières en combattant l’arbitraire. «Qu’est-ce-que ce tapis a de si magique ? » demanda-t-il alors à son esprit. Ce tapis avait en premier lieu une qualité que ses semblables enviaient. C’était un tapis libre. Il déambulait dans les couloirs de la vie, guidé par la lueur de sa seule intuition. Il possédait l’incroyable pouvoir de remonter le temps, fantasme rétroactif d’une génération fatiguée du présent. «Quelle chance » se dit-il. Jubilant, il se saisit du tapis et commença sa croisade à travers le temps. Il traversa les époques à la vitesse de la lumière, ébahi devant l’analepse anthropologique qu’il vivait. Soudain, il rencontra un compagnon de voyage, installé sur ce qui lui semblait être un tapis identique au sien. Trahi par cette coïncidence, il croisa le regard de ce mystérieux personnage, à l’allure brute, marqué au visage par les cicatrices de l’expérience. Après une longue pause cristallisée dans l’échange du blanc de leurs yeux, l’inconnu s’exclama sur un ton presque divin : « Bonjour, Voyageur ». Déconcerté, hâtif de comprendre cette mystérieuse entrevue, l’homme rétorqua « Comment êtes-vous arrivé là, Voyageur ? » « J’ai trouvé ce tapis chez un libraire. J’ai quitté la ville il y a peu, et je ne suis jamais revenu. » « Vous êtes-vous perdu dans l’infinité ? » demanda alors le jeune homme, interloqué. « Je redoute de retrouver l’ennui de la société dont je viens, figée dans sa périodicité lunaire. Ici je suis maître de mon temps. » Après un silence de réflexion, l’homme poursuivit. « J’ai rencontré un homme, quelques heures avant mon départ. Il me conta la vie de Chronos, dieu du Temps dans la mythologie grecque : « Savez-vous, Monsieur, que Chronos était le dieu du Temps chez les Grecs ? Il était en union avec Anakée, déesse de la Nécessité. N’étaient-ils pas fous, ces grecs, de considérer que le temps ne pouvait pas ne pas être ? Dans ma mythologie, ce tapis désunit Chronos d’Anakée pour le marier à la contingence ». À la suite de ses dires, j’étais parti, déjà installé sur ce qui me semblait être le plus bel objet du monde ». L’inconnu replongea son regard dans celui du jeune homme. « Gare à toi voyageur en quête de souvenirs, car ce périple pourrait durer plus longtemps que tu ne le penses». Après quelques secondes de silence, destinées à sacraliser sa pensée, et avant de repartir de là d’où il venait, le jeune homme conclut « J’aime trop le présent pour l’oublier. Je crois qu’il conjugue le passé pour s’approprier le futur ». De retour chez lui, entouré de ses livres, il fut pris d’une amertume qui plongea son âme dans un spleen dominical. Il médita sur l’expérience surréaliste qu’il venait de vivre. Il se dit que la vie avait un certain goût, qu’il ne pourrait jamais oublier. Le goût du désespoir qui, pour les meilleurs, impose de regarder en direction du passé. Il se débarrassa du tapis en espérant que d’autres inconnus s’en emparent et puissent à leur tour vivre ce voyage. Chanceux, c’est vous qui avez retrouvé ce tapis, qui s’envole dès maintenant avec à son bord votre esprit.

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